Art ou porno, la question soulevée par Hélène Boudreau et l’UQAM

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L’histoire d’Hélène Boudreau, cette étudiante poursuivie pour avoir publié des pictures d’elle jugées pornographiques avec le emblem de l’UQAM, a provoqué beaucoup de réactions. Et si, de prime abord, l’affaire peut sembler anodine, elle soulève de véritables questions philosophiques: qu’est-ce que l’artwork? Et qu’est-ce qui distingue l’érotisme artistique de l’obscénité pornographique?

Ces questions se sont avérées pertinentes à plusieurs reprises dans l’Histoire, des nus de Michel-Ange au Vatican à la masturbation d’Annie Sprinkles sur scène, en passant par Le Déjeuner sur l’herbe de Manet. L’artwork surprend. Il choque. Il fait jaser.

L’étudiante en artwork visuel Hélène Boudreau a accompli toutes ces choses avec sa photograph de diplômée de l’UQAM révélant son «underboobs». Si bien, qu’elle a décidé de se laisser porter par la vague des passions déchaînées. L’œuvre qu’elle présentera pour son évaluation de fin de baccalauréat sera son autoportrait tiré de cette photograph, assemblé sur une toile grande comme elle à partir de pastilles d’échantillons de couleurs, qui lui donneront un fini pixélisé. Elle veut ainsi représenter la censure dont cette picture virale a fait l’objet.

L’étudiante, qui produit du contenu porno sur la plateforme Onlyfans quand elle n’est pas sur les bancs d’école, refuse de faire une distinction entre l’artwork et la pornographie. Pour elle, la query ne se pose pas, automotive même la pornographie est une forme d’artwork.

«J’ai beaucoup de débats là-dessus. Beaucoup de monde me dit que la porno, ce n’est pas de l’artwork. Mais la porno, ça nécessite un jeu d’acteur. On n’a pas vraiment de enjoyable. Mon squirt, ce n’est pas du vrai squirt. C’est vraiment une mise en scène. Ça englobe être acteur, être modèle, faire de la photographie… C’est de l’artwork en tant que tel», dit-elle avec assurance.

«Marcel Duchamp, il a pris un urinoir, il l’a mis dans un musée, puis il a dit : voici, c’est mon artwork. Et tout le monde disait : non, ce n’est pas de l’artwork. Il y a un artiste, il a chié dans un pot, puis ça s’est vendu.» – Hélène Boudreau, diplômée de l’UQAM

Hélène Boudreau et l’oeuvre sur laquelle elle travaille. / Josie Desmarais

Qu’en pensent les spécialistes de l’Histoire de l’artwork? La pornographie pourrait-elle un jour être considérée comme le 11e artwork?

Selon Julie Lavigne, spécialiste de l’artwork contemporain et professeure au département de sexologie de l’UQAM, l’artwork doit être accompagné d’un discours. Ainsi, «il est difficile de considérer un movie porno comme une œuvre artistique. Mais certains movies pornos sont inclus dans l’histoire du cinéma». Le movie Destricted, par exemple, joue sur la frontière.

Mme Lavigne souligne par ailleurs que la efficiency et la photographie, à une époque, n’étaient pas considérées comme ayant de valeur artistique, alors que c’est le cas aujourd’hui. Elle mentionne des artistes comme Pipilotti Rist, Annie Sprinkles, ou Natacha Merritt et ses Digital diaries, où l’artiste se photographie notamment en gros plan en practice de faire une fellation.

«Natacha Merritt, c’est bien plus explicite que ce qu’a fait l’étudiante de l’UQAM. Mais son projet a été sanctionné en tant qu’œuvre.» – Julie Lavigne

Ersy Contogouris, professeure adjointe en Histoire de l’art à l’Université de Montréal, explique qu’en anglais, on fait généralement une distinction entre «nude and bare»: «Être nu», versus «être à poils». Le premier renvoie à l’picture d’un corps équilibré, épanoui et assuré, alors que le second vient avec de l’embarras.

Elle ne croit pas pour autant que l’artwork et la porno sont forcément deux choses qui s’opposent. «Ça s’inscrit sur un continuum.» Les critères qui dictent ce qu’est l’artwork évoluent, «et ça peut changer très rapidement».

«Dans les années 60 et 70, avec les débuts de l’artwork de efficiency, beaucoup de femmes se sont fait dire qu’elles faisaient de la porno. Comme Valie Export, Carolee Schneemann, ou Suzanne Valodan. Betty Tonckens et sa série Fuck work. Le Black sheep feminism. Les Cunt work…» – Ersy Contogouris, professeure adjointe en Histoire de l’artwork à l’Université de Montréal

D’ailleurs, la professeure mentionne que l’origine même du mot «obscène» renvoie à l’artwork. «Étymologiquement parlant, ça veut dire «hors scène»; ce qu’on n’est pas supposé voir sur une scène…»

Les réseaux sociaux, lieux d’exposition – sous circumstances

Départager si un contenu est de l’artwork ou de la porno a son significance, automotive cela déterminera sa légitimité dans l’espace public. Sur les réseaux sociaux, l’artwork érotique sera toléré, tandis que les pictures jugées pornographiques seront censurées. Même des références écrites à du contenu porno pourront engendrer le «shadow ban» d’un aspirant artiste, soit la réduction de ses affichages sur une plateforme, à son insu. Fb le dit d’ailleurs explicitement dans ses règles : les œuvres d’artwork survivront à sa prohibition de la nudité.

Selon Ersy Contougouris, les réseaux sociaux «n’ont aucune légitimité» pour décider ce qui est une œuvre d’artwork et ce qui ne l’est pas. N’en reste pas moins qu’ils se font juges, et leurs verdicts ne sont pas sans conséquence.

Hélène Boudreau en a conscience. «Si on utilise des gros mots – ou même les émoticons sexuels, comme la courge ou la banane – on peut être bloqué.» Elle ne fait d’ailleurs plus la promotion de son compte Onlyfans sur les réseaux sociaux pour s’éviter des ennuis.

Elle n’envisage pas pour autant de délaisser ces plateformes pour se tourner vers les lieux de diffusion institutionnels, qui sont difficiles à intégrer. «Il faut des commissaires, et il faut vraiment faire une grosse démarche… Moi, une de mes idoles, c’est Andy Warhol, et il a tout misé sur le advertising.» Les réseaux sociaux gardent donc sa préférence.

«Il y a un nouveau paradigme en ce second. Les réseaux sociaux, ça a tout changé. C’est là que les gens suivent l’influenceur, le youtubeur, l’artiste, parce qu’ils aiment le contenu qu’il fait.» – Hélène Boudreau

L’objectification dans l’artwork et la porno : la même selected?

Quand il s’agit de tracer la ligne entre la pornographie et l’érotisme dans l’artwork, certains suggèrent que la différence réside dans le fait que la porno objectifie les femmes – pas l’artwork. Mais cette proposition fait éclater de rire Julie Lavigne. «L’histoire de l’artwork est l’histoire de l’objectification du corps féminin! Pensons à Diane au bain…»

Hélène Boudreau n’y croit pas non plus. Il lui apparaît par ailleurs clairement qu’une femme qui se met en scène elle-même dans ses œuvres dérangera davantage qu’un homme qui met en scène le corps d’une femme. «Je ne sais pas pourquoi, mais avec les hommes, ça a toujours mieux passé. Les femmes, quand elles décident de faire ça, ça choque. Surtout une femme qui se dit féministe, quand elle montre son corps, les gens sont choqués.»

«On me dit : mais non, tu n’es pas féministe, tu es une femme-objet. Mais c’est un non-sens. C’est toi qui me vois comme une femme-objet – et non moi.» – Hélène Boudreau, diplômée de l’UQAM

Ersy Contogouris abonde dans le même sens. «On donne plus de droits aux hommes qu’on en donne aux femmes.»

La professeure rappelle toutefois qu’à travers l’Histoire, la nudité – celle des hommes et des femmes – n’a pas toujours été associée à la sexualité. «Le nu de Michel Ange, c’était un nu héroïque». Autrefois, beaucoup d’artistes utilisaient la nudité pour représenter un sujet en transcendant sa classe, sa tradition et son époque qui auraient autrement été révélées par ses vêtements. «Un corps nu, dépouillé, avait des valeurs intemporelles et universelles. Aujourd’hui, ça a été perdu.»

Vivrions-nous donc, au XXI siècle, à une époque qui sexualise particulièrement le corps? «On peut dire ça. On a du mal à considérer qu’il peut avoir plusieurs fonctions.»

«On a peut-être un regard un peu réducteur sur le nu, aujourd’hui, avec Fb qui nous dit : un mamelon de femmes, c’est érotique.» – Ersy Contogouris

Alors, artwork ou porno : remark trancher? Pressure est de constater que ce sont les modérateurs des réseaux sociaux qui prennent la décision pour leurs espaces, tandis qu’ailleurs, ce sont les establishments qui sanctionnent – ou poursuivent – ceux qui se revendiquent artistes tout en refusant de bouder les codes pornographiques.

Et dans certains cas, le temps nous dira peut-être qu’ils avaient tort.

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