L’élan de solidarité qui a envahi la province après l’attentat de Québec doit être porté plus loin, insiste Ève Torrès, cette néo-Québécoise musulmane très impliquée dans sa société d’adoption. Après avoir a réclamé la fin de la stigmatisation de la communauté musulmane mardi soir, lors d’une vigile à Montréal, elle souhaite que l’ensemble de la société prenne ses responsabilités.
Depuis dimanche, plusieurs membres de la communauté musulmane ont dit ne pas être surpris de la tuerie qui s’est déroulée dans une mosquée de Sainte-Foy. Pourquoi?
On n’était pas étonné parce qu’individuellement ou par l’intermédiaire d’organismes, on a essayé de sensibiliser les politiciens au racisme et à l’islamophobie. On dit souvent que ce sont des cas isolés, mais ce n’est pas vrai. Il y a des politiciens et des journalistes qui banalisent les paroles racistes. On repousse sans arrêt les limites.
Pourquoi n’a-t-on pas vu les lumières rouges?
On a ignoré les lumières rouges. Ce n’est pas qu’on ne les a pas vues. Les politiciens qui sont en poste travaillent avec les communautés musulmanes. Ils débloquent des budgets pour le vivre-ensemble ou pour la lutte à la radicalisation. Mais qui est-ce qu’on stigmatise dans la lutte à la radicalisation? Les jeunes musulmans potentiellement violents. Dans les faits, ce n’est pas tout à fait cela. C’est beaucoup plus international.
[Le chef d’antenne] Pierre Bruneau a parlé de «terrorisme inversé». Ça n’existe pas du terrorisme inversé. Il du terrorisme, level. Il y a du racisme, level. Du terrorisme inversé, ça présuppose qu’on attribue le terrorisme à une catégorie particulière de gens. Mais non. La preuve en est ce qui est arrivé dimanche. Quand on a la parole publique, les mots sont très importants parce qu’ils vont résonner dans la tête des gens.
Remark réagissez-vous quand vous voyez les politiciens dénoncer les attentats de Québec?
Aujourd’hui, ils expriment leur sympathie à notre endroit. Merci. Mais bien honnêtement, ce que nous voulons, ce sont des actions. Et en tant que citoyen, on élit des gens, mais on a ensuite la responsabilité de les questionner. Ce n’est pas un laissez-passer.
Vous dites que les paroles publiques «résonnent dans la tête des gens». Au quotidien, la communauté musulmane était-elle régulièrement victime d’intolérance?
Le quotidien est majoritairement bon parce que les gens sont généralement bons. Mais depuis le débat sur la Charte des valeurs, il y a des regards et des mots. Crisse de folle! Rentre chez toi! Je parle souvent de micro-agressions. Parfois, c’est plus grave. Il y a des femmes qui se font cracher dessus et qui se font bousculer assez violemment. Il y a aussi le vandalisme dans les mosquées.
L’attentat de Québec a visé directement la communauté musulmane. Avez-vous bon espoir que cette tragédie permette une prise de conscience ?
Je fais confiance au peuple. Je crois aux gens. Ce qui est essential, c’est de ne pas fléchir. Il faut continuer sur le même élan. Il faut que cet élan de solidarité prenne son envol. Il ne faut plus laisser passer les propos qui incitent à la haine et à la discrimination. Il faut être succesful d’interpeller les politiciens et d’écrire des lettres ouvertes. Il faut arrêter de banaliser la parole raciste. Il faut libérer notre parole d’opposition. Si cet élan de solidarité et de contestation retombe, on perd la possibilité de mener la lutte plus loin. Il faut donner une suite aux vigiles. C’est une lutte pour nos acquis, que ce soit les femmes ou les minorités.
Qu’est-ce que vous attendez des gouvernements?
Que [la communauté musulmane] ne soit pas utilisée pour des good points électoraux. Et que les propos soient surveillés. Est-ce que les politiciens reflètent la parole du peuple? Non, parce que même les gens qui sont élus ne sont pas d’accord avec eux. Alors, que les politiciens fassent leur job de politiciens, qu’ils reflètent la parole du peuple. Et si la parole du peuple dit qu’on n’est pas raciste ou xénophobe, qu’on est pour la tolérance, qu’ils se fassent le représentant du peuple. Et qu’il y ait une cohérence dans leurs propos et leurs actions.
Et quelle est la responsabilité de la communauté musulmane?
On a la responsabilité de prendre notre place, mais il faut qu’on nous aide. Parce que tout ce qu’on fait de positif, on ne l’entend pas. Il faut que les gens qui ont des privilèges et qui ont la parole publique nous permettent d’accéder à ces tribunes. Parce qu’on ne nous donnera pas forcément la parole.
Qui est Ève Torrès?
- Originaire de la France, elle a immigré au Québec il y a près de vingt ans.
- Elle a étudié à l’Université de Montréal.
- Elle a est la coordonnatrice depuis 2013 de l’organisme Voix de femmes, qui aide les femmes musulmanes à s’intégrer dans la société québécoise grâce au bénévolat.
- Elle anime une émission sur les ondes de Radio Ville Marie, L’islam, les musulmans et moi
- Elle dirige une garderie à Laval.
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