Jusqu’à la fin du mois, la Pink Bull Music Academy présente, dans l’antre du Centre Phi, une série de conférences données par des artistes hautement respectés. Mardi après-midi, Dev Hynes, alias Blood Orange, a parlé composition, influences, formation et injustices.
Devonté Hynes est timide, humble, réfléchi. Hyper créatif aussi. Formé en classique, armé d’un solide bagage de connaissances. Pour les détails pratiques maintenant: il a 30 ans, est originaire de Londres et réside désormais à New York. Son déménagement dans la Grosse Pomme a d’ailleurs été le moteur d’intro à la dialogue animée de façon allumée par la très préparée journaliste londonienne Lauren Martin.
Pendant deux heures, l’artiste s’est confié, tout en douceur et en ardour discrète, sur le chemin qui l’a mené à devenir le compositeur et réalisateur d’albums qu’il est aujourd’hui. Il a notamment exprimé sa ardour pour la danse, une self-discipline qu’il pratique et qui le fait sentir «heureux comme nul autre». Il a mentionné son amour profond pour l’accord de fa, qui «sonne teeeeellement bien». Puis, il a rigolé en se confiant sur sa manie d’enregistrer des sons dans la rue ou, par exemple dans Central Park; sur sa propension à capter des conversations d’amis au détour pour les inclure ensuite dans ses chansons. «C’est un peu louche, je sais!»
Si les albums qu’il a fait paraître sous le nom de Blood Orange, dont l’wonderful Cupid Deluxe en 2013 et le récent et salué Freetown Sound, plongent dans les univers RnB, hip-hop et funk, Dev a aussi révélé hier que les sonorités qu’il préfère écouter au quotidien, lui, se situent plutôt du côté de Stravinsky, de Bartok et de Puccini.
C’est du reste le violoncelle qu’il a appris en premier, il y a longtemps, longtemps. Un peu par désir contestataire, a-t-il raconté. «Quand j’étais à l’école, à Essex, les profs sont venus demander à tous les élèves de choisir de quel instrument ils voulaient jouer. Tout le monde répondait “guitare” ou “batterie”. Sauf moi. J’ai dit “violoncelle”. Je crois que ça en dit beaucoup sur qui je suis!»
Ce qui en dit beaucoup aussi, a-t-il ajouté, c’est que par la suite, il s’est donné pour devoir d’apprendre également à jouer de la guit et du drum. Voilà.
De cette époque de formation, il a gardé sa ardour de gamin – on le voit et il le dit – pour la musique. «J’ai encore ce sentiment d’écolier ravi quand je compose», a-t-il dit, l’air d’un, oui, écolier ravi.
Son sourire s’est néanmoins évanoui lorsque la dialog a dévié sur son amour pour Nina Simone. «Ça me fait mal de l’écouter, a-t-il énoncé. Mal de savoir qu’elle n’aura pas été appréciée à sa juste valeur de son vivant.» Comme Marvin Gaye, a-t-il ajouté. «Nina, pour moi, c’est tout simplement le summum! Ça vient d’un autre monde! C’est irréel!»
Affecté par la discrimination dont sont victimes les artistes noirs, Dev Hynes a pris un second pour analyser la state of affairs, laissant planer des silences. «Prenez Stevie Marvel! La musique absolument incroyable qu’il nous offre en ce second! Et le peu de reconnaissance qu’il reçoit proportionnellement en retour, s’est-il désolé. Visiblement, il y a un fossé entre les honneurs qu’on accorde aux artistes noirs, asiatiques, hindous – et aux femmes, bien sûr – et ceux dont on inonde les artistes masculins blancs. Et ça me rend triste…»
«En matière de composition, je suis impatient. Si je veux qu’une chanson existe, je VEUX qu’elle existe. À ce second précis!» – Dev Hynes
Pour conclure sur une observe plus joyeuse, comme s’est également conclue la conférence, notons qu’au cours de la dialogue judicieusement entrecoupée d’extraits de chansons qui l’ont marqué, qu’il a signées, ou sur lesquelles il a apposé sa griffe, Dev Hynes a mentionné les rencontres marquantes avec l’auteure-compositrice-interprète Solange (Knowles, la sœur de Beyoncé) et le rappeur brooklynois Theophilus London. Il a également blagué avec légèreté sur la gêne qu’il ressent devant une foule. «Je sais qu’on ne le dirait pas nécessairement, mais je suis quelqu’un de très discret. Je me retiens présentement de toutes mes forces pour ne pas sortir de cette salle en courant et en hurlant.»
Heureusement, il est resté. Et ç’a été, franchement, un second privilégié.
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